lundi 15 janvier 2018

Les rêveries du promeneur solitaire


Home, sweet home ?

Aujourd'hui, Fon va rendre visite à sa tante malade avec sa mère. C'est à une dizaine de kilomètres et il faut prendre la voiture. J'irais bien car je n'y suis jamais allé. Je demande à Fon combien de temps durera la visite. Plus de trois heures, répond-elle. Flûte, je n'ai pas envie de faire le pied de grue pendant aussi longtemps, mais je voudrais bien prendre l'air. Qu'à cela ne tienne, je rentrerai en marchant, cela me fera du bien.

Aussitôt dit, nous voilà partis.  Nous empruntons la grande route de Bangkok à Khon Kaen, la mittrapap ou route de l'amitié qui se transforme en un long cimetière pendant les fêtes. Puis nous nous perdons dans des petites routes de campagne.

Nous arrivons chez la tante qui a soixante-cinq ans, et l'air d'en avoir dix de plus. Elle souffre d'une polyarthrite très invalidante, et maintenant, elle garde le lit, c'est tout juste si elle peut s'asseoir.

La maison, une cabane ouverte que protègent des toiles en plastique, est d'une pauvreté atterrante. Le plus choquant pour nos sensibilités, c'est l'absence d'ordre dans la cour. Je pense aux tanières d'animaux autour desquelles on trouve des ossements, et tous les restes de ce qu'ils ont rapporté. Ici, c'est la même chose - je sais, ce n'est pas très novlangue de le dire aussi crument.


Signe extérieur de pauvreté : le "rez-de-chaussée" n'a pas été clos de parpaings

Il faut se rappeler qu'en Thaïlande, il n'y a pas de service de voirie - au sens ville propre. On n'a jamais vu de camion poubelle - sauf peut-être dans une série américaine. Donc tout ce qu'on rapportera dans une maison au cours d'une vie de cinquante ans finira à quelques mètres de l'entrée. Ce qui est ainsi externalisé peut d'ailleurs resservir, bouts de métal, morceaux de caoutchouc, etc. On pourrait organiser, ranger. Mais non. La maison de la tante est une  jaille, comme on dit dans ma Bretagne - à la fois capharnaüm et déchetterie. Beau, pas beau : ils s'en foutent.

Après avoir fait toutes les salutations d'usage, je m'en vais. En Thaïlande, aucune étiquette ne te contraint à avoir l'air intéressé et faire de la présence. Le mari me propose gentiment de me raccompagner en voiture, mais je dis "tchop deun", j'aime marcher, merci (ce qui est considéré comme une bizarrerie typiquement farang), et je me retrouve seul sur la route, avec un sentiment de liberté qui me rend si cher ce pays.

La campagne n'est pas très jolie. L'herbe est jaune car nous avons abordé la saison sèche. Il y a un voile gris dans le ciel. Je passe près de maisons anciennes mais transformées, avec un carré de parpaings entre les poteaux qui portent la partie haute, bois et tôle ondulée. Les gens me regardent avec curiosité et me lancent des bonjours. Ils ont le sourire en me voyant.

...mais pour la photo de groupe avec vélo : que dalle !

Il ne faudrait surtout pas en conclure que le thaï est bon - comme l'homme sauvage qui n'a pas été perverti par la civilisation, alors que l'homme occidental est gâté par la société de consommation.

Je ne sais pas pourquoi les thaïs sont aimables avec les farangs, mais je peux imaginer plusieurs explications. D'abord, une forme de reconnaissance pour un monde qui produit les Mercédès et la technologie en général. Ensuite, la curiosité - car des farangs qui marchent sur cette route, il ne doit pas y en avoir des masses. Enfin les thaïs connaissent tous une fille qui a épousé un farang et qui vit maintenant dans la banlieue d'Hanovre, ou à cinq cent mètre d'ici, sur un bout de terre que le mari a forcément acheté au nom de sa femme (c'est la loi), et sur lequel il a construit une maison en dur qui ne déparerait pas à Villeneuve St George, mais qui inspire ici le respect, avec ses murs en limite de propriété et ses installations sanitaires qui vont au-delà du baril d'eau de pluie et de la cuvette en plastique. Le farang, avec sa monnaie forte, peut donc être une aubaine, ce qui lui donne immédiatement l'air gentil.

Non, le thaï n'est sans doute pas meilleur que l'européen moyen, mais le contact avec lui, pour ces diverses raisons, est infiniment plus agréable.

D'autant qu'on ne lui a pas mis dans la tête ces questions de droit à l'image, ce qui me permet de prendre une ou deux photos sympathiques.

- Heaume, sweet heaume...?      - Et mon droit à l'image, bordel !

Je passe près d'un temple (il aurait fallu tracer un chemin d'une extraordinaire complexité pour ne pas en rencontrer). Je photographie les acolytes qui gardent l'entrée - ils ont tous la même tête, mais je ne me lasse pas.

Les incinérateurs ressemblent à des locos à vapeur. Ils se ressemblent tous - mais j'en ai une dizaine de photos.

Plus loin, un étang assez joli, avec un escalier. C'est fou le nombre de pièces d'eau qu'il y a dans ma région - retenues à visées agricoles ou sources de l'eau courante pour les maisons après un filtrage sommaire. Je vais revenir me baigner ici - dans la retenue où je nage d'ordinaire, les algues se multiplient à la vitesse des grains de riz sur l'échiquier.

Je redoutais de me perdre, sans GPS, et de marcher vingt kilomètres. Mais assez vite, j'ai entendu le ronflement des moteurs sur la mittrapap. La partie la moins agréable de la promenade…


Et bientôt, Don Chompu, la haute terre rose, notre village. Promenade agréable, certes, mais qui ne me laissera pas un souvenir impérissable, sauf si le plan d'eau se révèle une trouvaille.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire